mercredi 2 octobre 2013

Interview

Emmanuelle Bercot : "ELLE S'EN VA donne de l'espoir aux femmes"

Avec "Elle s'en Va", Emmanuelle Bercot nous embarque dans un road-movie optimiste et joyeux. Rencontre avec une réalisatrice aussi sincère que sympathique.
"Les êtres que je filme me passionnent plus que mes personnages. J'aime être dans l'instant, je me moque de la psychologie, je ne suis pas une raconteuse d'histoires, j'aime exacerber les émotions".Voilà en quelques phrases la ligne directrice, sensible et humaine du cinéma de la belle Emmanuelle Bercot, 45 ans. Avec Elle s'en va, en salles le 18 septembre, elle signe le film de la rentrée, à voir, sans hésiter.
JournalDesFemmes.com : Vous avez écrit ce film pour Catherine Deneuve, c'était évident pour vous qu'elle allait dire "oui" ?
Emmanuelle Bercot : Pas du tout. J'ai pris le risque d'écrire de scénario pendant un an en sachant que je ne tournerai pas le film si elle refusait le rôle. C'était pour elle et personne d'autre. C'est dire le désir viscéral que j'avais de tourner avec elle.
Elle a hésité avant d'accepter, car elle craignait le pathos, le misérabilisme de la femme de soixante ans qui se retrouve seule sur les routes, déprimée. Or j'ai toujours voulu un film léger et réjouissant. Une fois qu'elle a été convaincue que c'était une comédie et pas un drame, elle a foncé tête baissée. C'est une immense chance d'avoir eu cette femme que j'admire, d'avoir pu montrer sa joie de vivre, son humour, sa vivacité, de respecter sa mélancolie naturelle, aussi.
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Elle s'en va, en salles le 18 septembre© Wild Bunch Distribution
Parlez-nous de votre héroïne...
Bettie, comme beaucoup de gens, est passée à côté de sa vie et elle est restée confinée dans la ville bretonne où elle est née. Elle a repris le restaurant familial, aurait pu avoir un avenir exceptionnel grâce à sa beauté, mais elle s'est laissé enfermer. Veuve, elle a trouvé un amant, mais  qui la délaisse aujourd'hui pour une plus jeune. Sa vie sentimentale est foireuse, elle est revenue vivre avec sa mère, grande-gueule envahissante. Un midi, en plein service, elle quitte la cuisine et Elle s'en va... Se dessine alors non pas une dérive, mais une envolée.
Un paysan arthritique qui roule une cigarette, un agent de sécurité accueillant, un groupe de copines ivres : la galerie de personnages qu'elle va rencontrer est savoureuse...
L'avantage d'un road-movie, c'est que l'on peut tout se permettre... au risque de tomber dans l'excès, la caricature, le folklorique. Je voulais que ce soit vraisemblable, que l'on parle d'une France profonde. Je voulais des êtres ordinaires, des  "vrais" gens, des non-professionnels, pour apporter l'authenticité recherchée.
Y a-t-il eu des moments qui sont allés au-delà de vos espérances ?
Cette scène où Bettie se retrouve au ranch, un endroit improbable entre la boîte de nuit et la cafétéria glauque, avec de l'alcool en cocktails, un concours de fléchette. Là, elle se fait draguer par un jeune mec à la franchise un peu primaire. Les dialogues sont ceux qui étaient écrits. En revanche, il y a eu une véritable alchimie entre Catherine Deneuve et celui qui jouait Marco. Elle s'est mise à avoir un fou rire, à danser sur de la musique country, à mettre sa perruque de travers. C'était d'une drôlerie insolente. J'étais bouche-bée derrière ma caméra. Cela reste un souvenir émouvant, un moment magique. Je ne m'attendais pas à ce que Catherine puisse me surprendre autant. C'est quelqu'un qui a un immense respect du metteur en scène. Lorsqu'elle s'engage sur un film, elle s'abandonne et ne met aucune pression, elle est très solidaire.
C'est votre fils (Nemo Schiffman) qui joue le rôle du petit Charly...
Il a été tellement bon lors des essais que je me suis dit que ce serait aberrant de ne pas le choisir juste parce que c'est mon enfant. Par ailleurs, mon fils n'a jamais pu voir un de mes films parce qu'ils sont tous interdits au moins de douze ans. J'ai volontairement évincé les représentations de la sexualité pour qu'il puisse le regarder.
C'est la maman ou la réalisatrice qui le dirigeait ?
Nous avions des relations professionnelles. C'est la cinéaste qui dirigeait l'acteur dans la mesure, où, sur un tournage, je me coupe du réel. Je ne sais plus qui est ma famille, qui je suis, où j'habite... Son père était chef opérateur sur le plateau, cela n'a rien changé non plus. L'ambiance était studieuse, mais géniale.
Le rythme a été très intense...
Nous avons tourné sur 35 jours, dans des conditions d'urgence éprouvantes car nous changions de décor plusieurs fois par jour. Au final, Il y a peu de paysages (coupés pour raisons budgétaires), mais une cascade de rencontres dans des endroits différents avec des gens distincts. On reste dans la surprise.
Quel est l'itinéraire de Bettie au volant de sa voiture ?
J'avais envie qu'elle parte de Bretagne parce que j'ai des origines bretonnes, je la voyais bien dans ces villes closes, mais en bord de mer. Elle délaisse sa routine, les cris des mouettes, traverse le pays jusqu'Annecy, puis se retrouve dans l'Ain.
Et quel a été votre parcours à vous ? 
Je n'ai jamais eu de vocation. Je ne rentre pas non plus dans le cliché de la provinciale qui monte à Paris.  J'y ai grandi. Mon père était chirurgien, ma mère psy. Pourtant j'étais très naïve, innocente et je n'avais aucune connexion avec le monde artistique. A quinze ans, je pratiquais la danse avec assiduité et j'ai voulu en faire mon métier. On m'a obligée à passer mon bac, puis j'ai atterri dans une école de comédie musicale et je me suis orientée vers le théâtre, mais le chemin de jeune comédien est tortueux, difficile, semé d'embuches. Pour gagner ma vie j'étais serveuse et j'en ai eu marre. J'ai voulu changer le cours de mon destin. Je n'ai jamais été cinéphile, je n'ai jamais pensé qu'on pouvait réfléchir grâce au cinéma, qu'on pouvait l'analyser, mais j'adorais fréquenter les salles obscures. Je me suis réveillée un matin en me disant "il faut que je passe le concours de la Fémis". J'ai essayé de m'instruire et bingo, j'ai réussi. A 30 ans, en sortant de l'école, ma vie a basculé, j'avais un diplôme et mes premiers essais sur grand écran, du succès.
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Emmanuelle Bercot, en 2010 (Remise des Prix 2009 du SFCC). © BALTEL/SIPA
Vous êtes actrice, aussi...
J'adore jouer, c'est un plaisir intact d'autant que je n'ai plus besoin de ça pour payer mon loyer.
Êtes-vous fière de cette réussite ?
Je me sens privilégiée d'avoir un travail, d'exercer un métier que j'aime, de bien gagner ma vie, mais j'ai fait beaucoup d'erreurs, de mauvais choix, j'ai perdu du temps, j'ai manqué d'ambition.
Quels sont vos projets ?
Je travaille sur le portrait d'un mineur délinquant à travers sa relation au juge pour enfant et à son éducateur et je m'apprête à faire un film sur l'affaire du Mediator et le combat d'Irène Frachon.

Portrait chinois :

Si vous étiez un film : Ordet de Carl Theodor Dreyer
Une chanson : She Was de Camille
Un animal : un loup
Une odeur : le musc
Un plat : les spaghetti alle vongole
Une drogue : la cocaïne
Si vous étiez un homme : Gérard Depardieu

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